Ainsi se termine ce voyage, très dense, trop dense, mais s'il ne l'avait pas été, on aurait rouspété. Nous avons vu énormément de choses, la plupart du temps trop vite, juste le temps du regard au travers le viseur de l'appareil. Mais c'est la loi du voyage organisé, prendre son temps n'y est pas l'objet.
L'Inde est un choc pour le non initié, on y cotoye le luxe suprême des palais et la pauvreté des quartiers environnants, comme si les seigneurs locaux qu'étaient les maharajas avaient amassé leurs colossales richesses en pressurant les peuples comme des citrons. C'est vrai dans tous les états du monde, partout pouvoir et richesses vont aux plus cupides et plus ambitieux, qui savent exploiter sans états d'ame les populations. Mais on a le sentiment qu'en Inde ça a été plus fort qu'ailleurs, et que dans les villes anciennes, une classe moyenne n'a pas réussi à percer avant les dernières décennies. Et la colonisation anglaise n'a pas aidé.
L'Inde est une vraie démocratie, la plus vaste du monde. Le taux de croissance est à deux chiffres, mais comme partout il s'accompagne de l'accroissement des inégalités. Le taux de scolarisation est de l'ordre de 75%, le système des castes a certes évolué, mais il s'est adapté à la modernité et reste bien vivace, la population reste largement rurale, avec des taux de natalité très élevés. Dans dix ans, l'Inde comptera plus d'habitants que la Chine, et se posera, avec encore plus d'acuité qu'aujourd'hui, la question de l'exode rural et du contrôle des naissances. Vivre à 25 sur une petite exploitation n'est pas l'avenir, et des millions de ruraux iront grossir des villes déjà singulièrement encombrées et polluées.
La tolérance religieuse y est une tradition, lit-on. Les guerres de religion y ont pourtant été nombreuses, et à l'instar de ce qui se passe dans le monde, l'esprit de tolérance s'étiole par çi par là, au point qu'on aura vu un responsable hindouiste de l'état de l'Uttar Pradesh supprimer le Taj Mahal des guides touristiques officiels de la région, au prétexte que c'est un monument bâti par les musulmans. Depuis 2014, le parti nationaliste hindouiste a succédé au parti des Gandhi. Le premier ministre, Narendra Modi, "travaille très bien" nous a dit et redit Ragu. Prenons-en acte. Il a fait ami ami avec Emmanuel Macron, qui dit quand même de lui en privé que "c'est un dur, un très dur". On est content parce qu'il achète à la France des avions Rafale et des sous-marins pour défendre ses 15 000 kilomètres de frontières, dont celles avec le Pakistan et la Chine (trois guerres depuis 1950!), et même des Centrales EPR qui font ou feront bientôt, peut-être, le bonheur des finlandais et des manchois ! Mais saura-t-il préserver l'unité de cette mosaïque d'états, de religions, de langues, de peuples, qu'est l'Inde, qui n'avait jamais existé en tant que telle avant 1947 ? Saura-t-il gérer le développement économique pour que l'accroissement des richesses profite au plus grand nombre, ce que le capitalisme débridé qui règne sur le monde depuis la chute du communisme ne sait guère faire? 40% des indiens vivent sous le seuil de pauvreté, la pollution dans les villes est insupportable, les ordures s'entassent dans les rues et sur les routes dans l'indifférence, des quartiers entiers sont délabrés. Les défis du pays sont immenses, et leur résolution n'est pas facilitée par la part de 30% que l'Etat consacre aux dépenses militaires dans son budget.
Mais pour l'heure, il nous reste des images plein la tête, et le souvenir d'un groupe sympathique, où tout le monde parlait avec tout le monde. Nous avons vu des belles choses, en empruntant bus, cyclo-pousse, touc-touc, éléphant, bateau, calèche, et même moto-taxi pour moi pour le retour vers Le Chesnay. Nous avons partagé repas, rhum, whisky et chansons, émerveillements. Chacun chez soi, nous partageons encore photos, vidéos, idées et pensées sur l'Inde. Ce n'est pas si fréquent. Peut-être est-cela le miracle de l'Inde ?